Les mers en danger : la faute au plastique?

Les mers en danger : la faute au plastique?

| Auteur: Patrick Semadeni

Des plages entières recouvertes de déchets plastiques. D’énormes amas de plastique en mer. Ces images nous sont montrées au quotidien. Le plastique est-il le principal problème?

Tout ce qui se retrouve en mer…

Plastique

La pollution des mers du monde entier par le plastique est un problème, cela ne fait aucun doute. Entre 5 et 13 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans les mers chaque année. Cette pollution est avant tout la conséquence d’un manque de conscience environnementale et du manque d’infrastructures de gestion des déchets dans les pays en développement et les pays émergents d’Asie et d’Afrique. 97 % des déchets plastiques en mer ne proviennent pas d’Europe !1

« Très souvent, on a l’impression que les déchets plastiques sont les vrais fléaux des mers. C’est pourtant une erreur de jugement désastreuse. »
Nikolaus Gelpke, biologiste marin3

 

Engrais, produits chimiques, hormones…

Des nutriments (à base d’azote) provenant de l’agriculture se retrouvent dans les mers. Ceux-ci favorisent la prolifération des algues, ce qui a pour effet que de réduire la quantité d'oxygène présente dans l'eau, laquelle est pourtant vitale pour les autres organismes marins.

Des pesticides et d’autres toxines, provenant de l’agriculture mais aussi de l’industrie, se retrouvent également dans l’eau. Ces substances, par exemple le PCB, le DDT et des métaux lourds comme le mercure, sont persistantes et s’accumulent dans notre chaîne alimentaire.4

Le professeur Bernhard Wehrli de l’EPF de Zurich y voit une menace plus grande que les plastiques dans les mers : « Les hormones et les pesticides sont jusqu’à 100 000 fois plus nocifs, car ils ont un effet biologique, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils ont été développés. Ils sont solubles et sont facilement absorbés. » Il ajoute : « Je ne suis pas convaincu que le microplastique soit dangereux pour nous. »5

Pétrole

L’utilisation de pétrole entraîne constamment des déversements qui persistent pendant des décennies. 46 % proviennent de sources terrestres, 32 % de l’utilisation de pétroliers et 13 % de l’extraction de pétrole en mer.4

Mercure

On retrouve également du mercure en mer, qui, par un processus de transformation chimique, donne naissance au méthylmercure, une substance très toxique. Celui-ci s’accumule dans la chaîne alimentaire. Ce sont surtout les plus gros prédateurs tels que le thon qui en sont touchés : un poisson qui se retrouve très souvent dans nos assiettes.6

Métaux lourds

Des métaux lourds tels que du plomb et du cadmium ont été détectés dans de nombreux poissons destinés à la consommation. Dans une étude qui date de 2017, les poissons suivants ont été étudiés dans ce contexte : le maquereau, le saumon, l’anguille, la truite, le sprat. Pour le saumon par exemple, qui est très apprécié, une valeur moyenne de 57,81 microgrammes de plomb par kilogramme a été mesurée.7

Ces constatations sont inquiétantes. Le ministère fédéral allemand de l’environnement affiche sur son site web : « En avril 2010, l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié une expertise sur le plomb dans les aliments. Lors de l’évaluation d’études scientifiques sur la toxicité du plomb pour les êtres humains, l’EFSA n’a trouvé aucun seuil en dessous duquel des dommages sur la santé des êtres humains pouvaient être exclus ; ce résultat a été confirmé par le comité d’experts sur les additifs alimentaires des Nations Unies (JECFA) en 2010. Les deux expertises montrent que les êtres humains, et surtout les groupes vulnérables de la population comme les jeunes enfants et les femmes enceintes, sont beaucoup plus sensibles à l’absorption de plomb que l’on ne l’avait supposé. La contamination des produits alimentaires par le métal lourd qu’est le plomb est, dans le contexte de ces nouvelles découvertes, encore moins acceptable qu’auparavant.8

Les mers deviennent de plus en plus acides

Lorsque les sources d’énergie fossiles sont brûlées, les rejets ne se retrouvent pas seulement dans l’air. Les surfaces d'eau absorbent environ un quart des émissions. Cela modifie le pH des couches d'eau supérieures et rend l’eau plus acide. Ce processus est plus rapide qu’au cours des 300 millions d’années précédentes ! 2Rien que depuis le début de l’industrialisation, le pH a augmenté de 30 %. Le biologiste marin Nikolaus Gelpke décrit les conséquences : « Avec la modification soudaine et massive du pH, ces systèmes se modifient. Les algues calcaires telles que les coccolithophoridés (une espèce de plancton et ainsi le fondement de la vie dans les océans et la base vitale de la chaîne alimentaire) perdent leur coquille calcaire ; pour les coraux, les gastéropodes ou les moules, la calcification diminue de 22 à 39 % ; pour les organismes marins qui produisent du calcaire, on remarque une croissance de jusqu’à 17 % plus faible. Les effets de l’acidification ne se limitent pas à certains organismes en particulier mais modifient l’ensemble de l’écosystème. »3

L’acidification entraîne également une décoloration des récifs coralliens. Ce stimulus de couleur est pourtant important pour l’orientation et la recherche de nourriture de nombreux animaux marins.2

Les mers sont de plus en plus chaudes

Les mers se réchauffent également, à cause du changement climatique. Le biologiste marin Nikolaus Gelpke explique : « Les récifs coralliens sont une des victimes connues du changement climatique. Une augmentation de la température de un à trois degrés peut déjà entraîner la décoloration des coraux et est désormais responsable de plus de 20 % des récifs détruits de manière irréversible et de plus de 30 % des récifs très endommagés. Les poissons, comme le cabillaud, souffrent aussi du réchauffement : Une augmentation de seulement trois degrés Celsius entraîne la mort de jusqu’à 40 % des frais, c’est-à-dire des embryons, et l’acidification renforce davantage cet effet. Des effets similaires sont observés chez les bars, les coques, les moules et les coquilles Saint-Jacques. En mer Baltique, le cabillaud est devenu rare depuis longtemps et a migré dans des eaux plus septentrionales.3

Les mers sont de plus en plus bruyantes

L’eau conduit mieux les ondes sonores que l’air. De nombreux animaux marins communiquent en envoyant des ondes sonores, et notamment, comme on le sait, les baleines et les dauphins. Aujourd’hui, environ 60 000 cargos et porte-conteneurs sont en permanence en haute mer. Les émissions sonores peuvent bien se propager dans l’eau et dérangent les sonars de nombreux animaux marins. Un autre problème sont les navires spéciaux qui cherchent des gisements de pétrole et à cet effet envoient toutes les 10-12 secondes des jets d’air comprimé, qui peuvent être perçus à 2 500 miles par les sonars sensibles des baleines.2

Les mers sont de plus en plus vides : surpêche

Aujourd’hui, chacun mange 19,2 kg de poisson par an, c’est environ le double d’il y a 50 ans. En 2012, presque 80 millions de tonnes de poissons marins ont été pêchés dans le monde. Entre 1970 et 2010, les populations mondiales de poissons ont diminué de 50 %.9

Pour les poissons répandus destinés à la consommation comme l’espadon, le maquereau et le thon, les populations ont même diminué de 90 % ! Cela modifie l’écosystème marin. La pêche entraîne aussi beaucoup de captures accessoires : tortues, dauphins, requins et oiseaux de mer. Ces captures accessoires sont à nouveau rejetées en mer, mais à ce moment-là, les animaux sont souvent déjà morts.10

La pêche par les chalutiers de fond a également des effets dévastateurs : les filets pêchent jusqu’au fond de la mer et détruisent les coraux et les plantes marines qui y vivent.10

Résumé : il y a de nombreuses menaces pour les mers

Les déchets plastiques ne sont pas la menace principale. Cependant, les déchets plastiques n’ont pas leur place dans les mers, et en instaurant de meilleurs systèmes de gestion des déchets dans les pays qui y contribuent le plus (Chine, Asie du Sud-est), leur quantité dans les mers devrait diminuer.

Ce thème fréquemment évoqué dans les médias ne devrait pourtant pas éclipser les autres menaces encore plus graves pour les mers. Ici, les médias ont aussi une responsabilité environnementale.

 

1 European Commission, A European Strategy for Plastics in a Circular Economy, Brüssel, 16.01.2018

2 Ocean Pollution, The Dirty Facts, National Resource Defence Center NRDC, New York, 2018

3 Plastik im Meer ist ein Problem – doch bei weitem nicht das grösste, Nikolaus Gelpke in NZZ, Zürich, 15.08.2018

4 Sources an Effects of Marine Pollution;  Global Development Research Center GDRC, Kobe, 2019

5 «Herr Professor, wie gefährlich ist Mikroplastik im Darm?», Prof. Dr. Bernhard Wehrli im Tagesanzeiger, Zürich , 26.10.2018                                                

6 Marine Algensedimente als riesige Quecksilberspeicher, Analytik News, Ober Ramstadt, 2018

7 Cadmium and Lead Content in Chosen Commercial Fishery Products Consumed in Poland and Risk Estimations on Fish Consumption, Winiarska-Mieczan et. al. , Lublin, 2017, publiziert bei NCBI National Center for Biotechnology Information, US National Library of Medicine, Bethesda

8 Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und nukleare Sicherheit BMU, Website, „Blei in Lebensmitteln – Hintergrundinformationen“, Stand 22.07.2015, Berlin

9 Fish Forward Projekt, WWF-EJF, Website, 2019

10 Oceana – Protecting the World’s Oceans, Website, Washington, 2019

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